Quel rapport le graffiti/street art entretient-il avec la ville ?
Collage à ParisLe rapport entre le graffiti à l’américaine et le street art, englobant toutes les autres formes d’art urbain, est à la fois très complexe dans son appréhension première et très simple, si l’on considère ce mouvement artistique dans la longue durée. En effet, la ville a toujours été un lieu où l’homme a pratiqué son art sous des formes diverses : l’art pariétal chez les Homos Sapiens, les fresques égyptiennes, sumériennes ou encore romaines, les graffiti dans les rues de Rome pullulaient, les églises au Moyen-Âge étaient peintes à l’extérieur et à l’intérieur, durant la Révolution française les murs de Paris étaient recouverts de collages et d’inscriptions en tout genre, Restif de la Bretonne (écrivain libertin du XVIIIe siècle) rapportait les évènements de sa vie sous forme de graffiti qu’il faisait sur les parapets des ponts de l’Île Saint-Louis… Plus proche de nous, Mai 68 avec l’utilisation du mur pour passer des messages politiques à l’instar de la Chine de Mao… Tous ces exemples dans le temps et dans des régions différentes illustrent bien le besoin qu’a toujours eu l’homme de laisser une trace ou de s’exprimer librement dans l’endroit où il vit.

C’est également un moyen d’expression directe qui touche beaucoup de monde, rapidement et sans intermédiaire qui pourrait dénaturer le propos de celui qui l’exécute. Ainsi, un tag, un collage ou un pochoir sera perceptible d’une manière brute, parfois même brutale et agressive, mais il n’y aura personne pour vous dire quoi penser.

Collage à RennesLa ville est un espace ouvert où tout est possible malgré des lois restrictives, des zones privatisées bien que faisant partie du domaine public… Ce n’est pas une galerie ou un musée comme certains peuvent le dire. Je ne pense pas que la ville soit un lieu équivalent à une galerie pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, c’est un endroit qui n’est pas sûr pour ceux qui ne connaissent pas les règles inhérentes à cet espace très codifié : on ne peint pas n’importe où, n’importe comment ou sur n’importe qui sans en subir les conséquences, parfois violentes. Ensuite, il n’y a pas que de l’art dans la rue : les inscriptions racistes, les gribouillages sans signification, les imitateurs ou pseudos artistes, les collages publicitaires, la publicité version street art… Bref, tout y est possible, le meilleur comme le pire ! Enfin, la ville « habitée » n’est pas forcément le lieu approprié pour toutes les pratiques artistiques urbaines. Les friches industrielles, les catacombes, les voies désaffectées, la petite ceinture, les terrains vagues me semblent plus souvent être des endroits propices à la création et, par bien des aspects, se rapprochent de la galerie comme lieu recevant un artiste et une œuvre. Personnellement, je pense que la ville est plus un grand terrain de jeu. Je l’ai toujours pensé ainsi… Lorsque je colle mes « Men at work » ou mes « Girls in the city », je m’amuse et je l’offre aux regards de ceux qui prendront la peine d’être attentifs à leur environnement. Je ne le fais pas avec cette idée de l’exposer dans la plus grande galerie du monde. Parfois, je me dis que la plus grande, c’est plutôt Internet  !

Pour en revenir au rapport entre cet art et son environnement, je suis également persuadé que le graffiti et le street art sont des réponses individuelles de résistance à la privatisation croissante de la ville « habitée ». En effet, les publicitaires depuis l’émergence du capitalisme marchand de masse se sont accaparés tous les espaces disponibles pour y installer des panneaux qu’ils louent à des entreprises. Leur mobilier urbain est présent dans des lieux publics, mais il a fini par devenir de « petites entités » privées de fait avec des lois qui les protègent contre leur utilisation par des tiers.

Paris Tonkar // BandoMais ce n’est pas uniquement cela le graffiti, c’est aussi un besoin de reconnaissance dans la ville inhumaine à taille inhumaine où l’individu est isolé. La société américaine exalte l’individualisme depuis toujours et c’est là que les premiers graffeurs new-yorkais issus du ghetto ont utilisé le métro pour affirmer leur existence et imposer leur nom à tous. Le graffiti à l’américaine est donc une manière de sortir du lot en utilisant la ville comme vitrine ou lieu de mise en valeur de son identité masquée car la plupart du temps, ils utilisent un pseudo. Cet art est né dans la rue donc forcément il entretient un rapport quasi charnel avec la ville qui est souvent mise en scène dans les graffs ou les œuvres des artistes urbains. Les institutions entretiennent une relation schizophrénique avec cette pratique artistique puisque des lois punissent sévèrement cette pratique dès lors que l’artiste exécute une œuvre sans autorisation, ce qui est le plus souvent le cas. Et dans le même temps, les villes commandent des murs à ces artistes, des musées exposent des peintures et des œuvres brutes comme des palissades ou encore des galeries permettent à certains d’accéder au marché de l’art. La réponse des autorités a été dans un premier temps la répression à outrance, mais voyant que cela ne servait à rien car, les habitants des villes appréciant de plus en plus, il était difficile de tout condamner et de tout effacer. Dans un second temps, les villes ont autorisé les artistes à peindre dans des lieux « ouverts », des murs autorisés, des friches « autorisées » ou encore des murs appartenants aux municipalités, tout en catégorisant les pratiques artistiques urbaines de la plus décriée et punie (le tag) à la plus tolérée (le mur peint). La loi ne fait pas de différence entre un  tag et un collage ou une fresque. Ainsi, la ville s’est finalement retrouvée à partager son espace avec des pratiques dites vandales et d’autres « artistiques ». Toutefois, cette manière de voir cet art pose un problème de taille car les artistes urbains sont, par essence, obligés de produire des œuvres originales dans la ville en transgressant les règles et la loi afin d’être reconnus en tant que tel. L’interdit est un des moteurs de cette pratique… Elle intègre aussi deux autres notions fondamentales : l’éphémère de l’installation et la gratuité. Le tout engendre de la notoriété si l’œuvre plait car la probabilité d’être vu en ville est plus grande que dans une galerie ou à la campagne. Enfin, l’émotion que suscite l’œuvre est primordiale car l’art urbain oblige l’artiste à avoir un rapport direct avec les passants. Un rapport bref mais qui doit marquer les esprits. Toutefois, il faut relativiser la visibilité inhérente à la présence sur les murs des villes. La plupart du temps, les gens ne s’y intéressent pas par manque d’informations et de curiosité. N’oublions pas que TF1 est la chaîne TV la plus regardée en France, ce n’est pas Arte…

Collage à RennesEst-ce le même maintenant et avant (au début du graffiti) ?
Non pas du tout ! Je ne parlerai que du cas de la France car, dans chaque pays, les débuts des arts urbains sont intimement liés à leur histoire sociale, politique et culturelle. Dès les années 70, Ernest Pignon Ernest, le doyen français des arts urbains, utilise la ville mais aussi la campagne pour exprimer des idées politiques à travers des installations urbaines… Les premiers pochoiristes et, par la suite, les premiers tagueurs/graffeurs vont s’exprimer sur les murs de la ville en pensant qu’ils sont les seuls à en faire, que c’est un nouveau monde qui s’ouvre à eux… Le grand public et les autorités ne s’y intéressent pas car c’est encore un phénomène marginal qui n’affecte pas les espaces privatisés dans les rues. En outre, il y a moins de monde à pratiquer entre 1970 et le milieu des années 80, la plupart sont isolés car Internet n’existait pas encore, ni la presse spécialisée… La ville, à cette époque, est violente car c’est encore un terrain où se joue encore de la lutte des classes, le règne des bandes est une réalité… Les forces de l’ordre sont moins tolérantes à partir de l’explosion du tag vers 1986 et les habitants considèrent que ce sont des voyous qui salissent les murs et le métro. Autre chose de différent, le street art comme on l’entend aujourd’hui est quasi inexistant même si Jérôme Mesnager, les Mosko & associés, les Musulmans Fumants, Miss Tic ou encore Blek le rat, l’inspirateur de Banksy, sont très présents bien que noyés dans la masse de tags qui a envahi la ville. Les graffeurs et les artistes urbains sont en moyenne plus jeunes que maintenant : les tagueurs sont souvent des adolescents dans les années 90 avec tout ce que cela suppose de volonté de transgresser les interdits et de mise en danger. Enfin, ce n’est pas encore un phénomène mondial, il ne concerne que les très grandes métropoles. Le changement s’est opéré avec l’apparition d’Internet puisqu’il a fallu être à la fois présent physiquement sur les murs des villes et virtuellement sur la toile pour être considéré comme artiste urbain.

Collage ParisLorsque le graffiti est arrivé en France, quels ont été les lieux qui ont été investis en premier ?
Les endroits qui ont vu fleurir les premiers graffiti à l’américaine sont avant tout les quartiers où habitaient les premiers graffeurs, c’est-à-dire très peu de rues, ça et là, dans Paris et sa banlieue. Puis, rapidement les graffs et les tags sont apparus sur les quais de Seine, la Petite ceinture, les palissades du Louvre, le terrain de Stalingrad, porte de La Chapelle, le terrain de Mouton-Duvernet… Et à partir de 1986-87, partout dans Paris et en dans une grande partie de la banlieue. Il est à noter que dès 1984, de jeunes graffeurs vont peindre le métro imitant en cela leurs prédécesseurs new-yorkais. Le street art est présent essentiellement dans le centre de Paris et assez peu en banlieue jusqu’à la fin des années 90…

Collage ParisEtait-ce de l’art idéologique ou identitaire ?
Je ne suis pas convaincu que l’art des rues soit vecteur de conscience politique ou idéologique, à l’instar des Dadas ou des Surréalistes ! Certains artistes comme Banksy ou JBC en France font passer des messages à travers leurs installations… Ils sont assez rares ! Cependant, de plus en plus d’artistes « urbains » acceptent volontiers de mettre leur savoir-faire aux services de causes justes et humanistes, mais ils le font au titre de citoyen artiste et pas uniquement dans une démarche globale d’artiste. La rue nous oblige à être rapide, simple et efficace et, à titre personnel, je ne veux pas simplifier ma pensée, utiliser un slogan pour faire « tendance », ni réduire mes idées à deux ou trois images « faciles » pour toucher le grand public. En cela, je pense que Banksy est un artiste unique en son genre. La question qui se pose est : une œuvre est-elle forcément réalisée pour dire quelque chose ? Selon moi, cela concerne l’art en général et pas uniquement les arts de rue. En même temps, toute forme d’art ne porte pas forcément un message. La rue n’est pas un lieu tendre et ceux qui la pratiquent se sont assez souvent endurcis. Humanisme et arts de la rue ont des visions et des buts antinomiques.

Interview de Fanny Arlandis (journaliste à slatefr, lemonde.fr – photographe)


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