La rue comme « plus grande galerie d’art du monde » ça vous parle ? Ou vous n’adhérez pas à cette idée ?
Cela me parle un peu… Mais guère plus ! Je ne pense pas que la rue soit un lieu équivalent à une galerie pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, c’est un endroit qui n’est pas sûr pour ceux qui ne connaissent pas les règles inhérentes à cet espace très codifié : on ne peint pas n’importe où, n’importe comment ou sur n’importe qui sans en subir les conséquences. Ensuite, il n’y a pas que de l’art dans la rue : les inscriptions racistes ou autre, les imitateurs, les pseudos artistes, les collages publicitaires, la publicité… Bref, tout y est possible : le meilleur comme le pire ! Enfin, la rue n’est pas forcément le lieu approprié pour toutes les pratiques artistiques urbaines… Les friches industrielles, les catacombes, les voies désaffectées, la petite ceinture, les terrains vagues me semble plus souvent être des endroits plus propices à la création et, par bien des aspects, se rapprochent de la galerie comme lieu recevant un artiste et une œuvre. Personnellement, je pense que la rue est le plus grand terrain de jeu ! Je l’ai toujours pensé ainsi : lorsque je colle mes « Men at work » ou mes « Girls in the city », je m’amuse et je l’offre aux regards de ceux qui prendront la peine d’être attentifs à leur environnement. Je ne le fais pas avec cette idée de l’exposer dans la plus grande galerie du monde. Just for fun ! Parfois, je me dis que la plus grande galerie du monde c’est plutôt Internet  !

Paris Graffiti, espace Chapon, 1992 // Paris

Pensez-vous qu’on peut considérer l’art urbain comme un « don » de soi à la rue et aux passants ? J’entends par là qu’un artiste de rue ne chercherait pas de contreparties (être exposé en musée, acquérir une certaine « notoriété ») si ce n’est la reconnaissante d’inconnus ?
Pas vraiment… C’est avant tout une pratique artistique qui intègre deux notions fondamentales : l’éphémère de l’installation et la gratuité. Forcément, cela génère de la notoriété si l’œuvre plait car la probabilité d’être vu est plus grande que dans une galerie, si les installations sont belles et bien situées, si l’artiste communique avec intelligence, s’il y a du fond dans la forme (pour le coup, il faut avoir une forme qui permette au fond d’être bien mis en valeur). Enfin, l’émotion que suscite l’œuvre est primordiale car l’art urbain oblige l’artiste à avoir un rapport direct avec les passants. Un rapport bref mais qui doit marquer les esprits. 

Meo TCG COP

Doit-on forcément passer par une institutionnalisation pour faire reconnaitre un art ? Et s’il ne s’agit pas de reconnaissance, pour pouvoir l’ancrer dans l’histoire de l’art, laisser des traces ?
Non ! Le Hip-Hop, dernier mouvement artistique du 20e siècle, a fini par s’imposer en France malgré les réticences du ministère de la culture et de tous les tenants d’une culture élitiste qui de temps en temps faisaient mine de se préoccuper des envies du peuple ! C’est le public et les artistes qui portent leur art depuis des années qui ont permis à cette expression artistique multiple de marquer son temps puis l’histoire de l’art… En outre, dans les institutions et parmi certains « notables de la culture », il se trouve des personnes qui ont su aider cette contre-culture naissante pour toutes sortes de raisons personnelles ou tout simplement par calcul sur le long terme.

Présent dans l’espace public, à la portée de tous, l’art urbain touche tout le monde et fait donc connaitre les travaux des artistes de manière simple et efficace. C’est aussi une manière de faire passer des messages, revendiquer des opinions. Quelle est, selon vous, la place des idées dans l’art urbain ?
Je ne suis pas convaincu que l’art urbain soit vecteur de conscience politique, à l’instar des Dada ou des Surréalistes ! Certains artistes comme Banksy (Royaume-Uni) ou JBC (France) font passer des messages à travers leurs installations… Ils sont assez rares ! Cependant, de plus en plus d’artistes « urbains » acceptent volontiers de mettre leur savoir-faire aux services de causes justes et humanistes, mais ils le font au titre de citoyen-artiste et pas uniquement dans une démarche globale d’artiste. En ce qui me concerne, la rue est avant un lieu où je m’amuse. Il m’arrive de participer à des événements citoyens comme la journée pour l’égalité des droits avec Act Up mais mon opinion politique et ma vision philosophique, on peut les retrouver dans mes livres ainsi que dans certaines de mes peintures. La rue nous oblige à être rapide, simple et efficace et je ne veux pas simplifier ma pensée, utiliser un slogan pour faire « tendance », ni réduire mes idées à deux ou trois images « faciles » pour toucher le grand public. En cela, je pense que Banksy est un artiste unique en son genre !

Fait-on une œuvre pour dire quelque chose ou dit-on quelque chose à travers son œuvre ?
Oui, mais cela concerne l’art en général et pas uniquement les arts de rue ! En même temps, toute forme d’art ne porte pas forcément un message.

Que pensez-vous de l’expression d’«artiviste» utilisée par JR ?
Sans intérêt, pas plus que le terme de pressionnisme pour le graff… Pourquoi inventer un mot alors que des termes existent (en français et en anglais) et qu’ils peuvent convenir. Ou alors est-ce une forme de marketing pour masquer un vide intellectuelle ! Le terme « nouveau » est assez souvent utilisé pour masquer la médiocrité et vendre ensuite sa « soupe » comme la chose qu’il ne faut surtout pas rater. Je pense qu’il faut d’abord faire avec conviction, cœur, force et sans se mentir puis approfondir ce que l’on pense être bon… Catégoriser l’art est une manière de mieux le réduire à sa fonction et non à son essence !

Selon vous, exposer dans la rue signifie un rapprochement vers la population ?
Non, pas du tout. La plupart du temps, les gens ne s’y intéressent pas par manque d’informations et de curiosité. TF1 est la chaîne TV la plus regardée en France, ce n’est pas Arte…

Nouer ce lien social est-il intrinsèque aux valeurs du street art en général (un réel engagement de la part de l’artiste, de l’art de l’action) ?
Il n’y a pas de lien… Ou si peu.

Peut-on parler d’une réelle « foi sincère en l’humanité » commune aux artistes urbains (ou serait-ce trop idéaliste) ?
C’est une vision utopique pour le moment. La rue n’est pas un lieu tendre et ceux qui la pratiquent se sont assez souvent endurcis. Humanisme et street art (au sens le plus large possible, englobant aussi bien le tag, le graff que le pochoir ou le collage) ont des visions et des buts antinomiques.

De manière plus générale, peut-on dire que le street art éduque le regard du passant spectateur ? 
C’est certainement le cas dans les très grandes métropoles comme Lyon, Paris, Berlin ou Londres. Je pense qu’Internet joue un rôle encore plus grand !

Selon vous, comment peut-on expliquer l’explosion de l’art contemporain urbain dans les années 2000 ?
La maturation des premières générations de graffeurs, l’envie de vivre de son art et peut-être aussi le besoin du public d’avoir accès à une forme artistique qui lui parle et qui fait partie intégrante de son milieu.

Before pasting in San Francisco, CA

Interview de Tarek par Elise Ruiba, étudiante en Master // Histoire de l’art // Photographies de Tarek


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